Crédit photo : François Séité
Dryocopus martius, alias le Pic noir, est le plus grand représentant des Picidés en Europe avec ses 45 à 55 cm en longueur pour 65 à 85 cm d’envergure et un poids de 300 à 350 g. Etymologiquement « druos » en grec signifie « arbre » et « kopos », « marteler, taper ». Quant à « martius », les avis divergent entre une référence à ses dimensions royales, ou bien au mois de mars, la période de l’année où le mâle tambourine sur les troncs pour marquer son territoire et attirer les femelles. Dans son Étymologie des noms d’oiseaux, Pierre Cabard estime que le nom provient de ce bruit, très proche de celui produit par les soldats quand ils frappaient leurs boucliers de leurs glaives pour effrayer l’ennemi, d’où l’association martiale…
Les deux sexes ont un plumage noir avec plus ou moins de reflet et une calotte rouge vif du bec à la nuque chez le mâle et juste une tache rouge à la nuque pour la femelle. Un bec couleur ivoire à pointe sombre, un iris blanc et des pattes grisâtres complètent son portrait.
Le juvénile se reconnaît à sa teinte globalement grise avec un bec rosâtre et l’iris gris.
Dans les années 1930, le Pic noir ne nichait que dans les régions de montagne. A partir de 1950, il conquiert l’ouest et les forêts de plaine : dans le Nord et la Picardie dès 1965. En Bretagne, les premiers contacts ont lieu en 1975 en Loire- Atlantique, puis en 1981 dans le sud de l’Ille-et-Vilaine, mais c’est en 1984 dans le premier département et 1985 dans le second pour avoir les premières preuves certaines de reproduction. Le Morbihan, les Côtes-d’Armor et le Finistère sont conquis respectivement en 1987, 1991 et 1999. Au début des années 2000, on estime à 300-400 couples la population de la Bretagne administrative et à 20 000 à 30 000 couples en France.
Au cours du temps, son installation en plaine connaît différentes phases : une augmentation de +187% de 1989 à 2001, une stabilité de 4% depuis 2001 pour avoir un déclin modéré de 10 % sur les 10 dernières années. L’origine de cette expansion n’est pas connue. Une des hypothèses repose sur l’abondance des scolytes, cet insecte xylophage arrivé en masse avec le réchauffement climatique dans les espaces peuplés de résineux.
Le Hêtre commun, Fagus sylvatica, arbre des forêts tempérées caducifoliées, indigène d’Europe, essence bioindicatrice d’un climat tempéré humide, forme des peuplements exclusifs (hêtraies pures) ou le plus souvent associé au Chêne rouvre en forêts de feuillus ou avec l’Epicéa et le Sapin blanc en forêts mixtes. Les forestiers pratiquent depuis longtemps sa sylviculture pour les meubles.
Le hêtre, emblème de fin de succession écologique forestière, est l’arbre fétiche du Pic noir. Celui-ci fréquente les vieilles futaies d’âge mature et a besoin de grandes superficies boisées allant de 200 à 500 ha avec la présence d’arbres âgés de plus de 100 ans et de gros diamètre.
C’est l’animateur des forêts avec ses appels très sonores.
Le long “Klieuuub” est un cri de territoire métallique et haut-perché, perçu à des kilomètres à la ronde par ses congénères. Il émet aussi un son plus prolongé « klee-eh » lorsqu’il est posé. En survolant son territoire, il lance souvent un “Krukrukru” grave et traînant.
Le cri de parade du mâle et de la femelle est identique un “Kouikkouikkouikkouik” en succession ascendante, s’accélérant à la fin.
Un cri double “Klicka“, bref et dur, marque une vive alarme, ou bien la crainte et l’embarras.
Tous les pics présentent une forte adaptation à leur mode de vie.
L’os hyoïde commence dans la narine du bec supérieur, où il se divise en deux parties entre les yeux, puis se déplace sur le sommet du crâne et autour du dos. À la base du crâne, les pièces séparées se rejoignent et s’attachent au muscle de la langue.
Le Pic noir, espèce insectivore, est un grand myrmécophage et un prédateur des insectes xylophages et leurs larves. Les chenilles de papillons, les arthropodes et les escargots rentrent dans son menu alors que les fruits et les baies restent occasionnels.
Avec son bec acéré, il perfore l’écorce, creuse des trous allongés, profonds et rectangulaires afin d’attraper les invertébrés présents dans les souches, les arbres morts ou dépérissant ou gisant à terre. Sur le sol il se déplace en sautillant maladroitement.
Percussionniste des forêts, il choisit son instrument pour sa sonorité. Un tambourinage puissant, portant à des centaines de mètres, émis de février à mai, durant au minimum 3 à 4 secondes avec 15 à 20 coups par seconde et jusqu’à 12 000 frappes par jour, lui permet de se signaler auprès de ses congénères.
Son vol énergique, assuré par ses ailes puissantes aux battements particuliers – comme s’il y avait une petite pause entre deux battements successifs – est ondulant pendant les vols courts et avant de se poser. En vol battu régulier sur longue distance il a une ligne de vol régulière bien droite. Il vole avec la tête relevée.
Solitaire hors période de reproduction, les partenaires se rencontrent dès janvier pour former un couple stable dans la durée. Commencent alors des périodes de chants, vols excités, tambourinage, parades – où le couple balance la tête en décrivant des cercles avec elle – durant trois mois jusqu’au forage, en mars par le couple, de la loge de nidification.
Située entre 7 à 15 mètres au-dessus du sol, dans un arbre sain ou malade sans aucune branche sur les 5 à 20 premiers mètres et sans aucune plante grimpante, la cavité, d’un diamètre de 20 à 25 cm pour une profondeur de 30 à 50 cm avec une entrée ovale et verticale (13 x 8 cm) nécessite 10 à 25 jours de travail.
Une seule ponte par an entre la mi-mars et la mi-mai composée de 2-5 œufs incubés par le couple pendant 12 à 14 jours, surtout la nuit par le mâle.
Les poussins sont couvés pendant la première semaine par les deux parents qui les nourrissent par régurgitation. Envol des jeunes autour de 30 jours après l’éclosion, mais ils dépendent encore des adultes pour la nourriture, ce dont se charge le mâle en général. Ils demeureront avec les adultes pendant encore un mois ou deux, avant leur dispersion définitive, en juin ou juillet.
Les adultes sont sédentaires. Les jeunes sont erratiques, pouvant se déplacer jusqu’à quelques centaines de kilomètres du lieu de leur naissance (DUQUET, 1992), le record appartenant à un jeune bagué en Allemagne en 1969… retrouvé à 1080 kilomètres plus loin, en Bretagne, en 1971(CUISIN, 1991).
De l’Europe de l’ouest à la Chine via le Japon, son activité de charpentier en fait l’un des « ingénieurs forestiers » les plus essentiels de l’ensemble des forêts d’Europe et d’Asie.
Son régime alimentaire favorise la bonne santé des espaces forestiers en limitant la prolifération des insectes ravageurs. Puis, en déchiquetant bois et écorces, il accélère leur transformation en humus ce qui profite… aux végétaux. Une fonction de régénération primordiale !
Les loges anciennes ou récentes sont réutilisées les années suivantes par le pic lui-même ou par d’autres locataires. Parmi les espèces « squatteuses » des maisons de Dryocopus, nous trouvons, le Pigeon colombin qui, sans lui, ne pourrait pas nicher dans nos systèmes forestiers actuels. En Bretagne son augmentation est probablement liée à l’arrivée du Pic noir.
La Chouette hulotte, le Choucas des tours, la Sittelle torchepot (qui en rétrécira l’entrée) ou l’Étourneau sansonnet…sont des occupants fréquents, tout comme les mammifères tels que la Martre, la Fouine, l’Écureuil roux, les chauve-souris (Noctule commune, Oreillard roux, Barbastelle, différents Murins..) ou les Abeilles sauvages, les Frelons ou les Guêpes. Plus de 50 espèces utilisent les cavités du Pic noir, considéré comme une «espèce clé de voûte»: les endroits où il vit présentent une large biodiversité.
Les menaces sont la fragmentation de son habitat par l’aménagement d’infrastructures linéaires, la plantation de résineux, la destruction des nichées lors des travaux forestiers et le dérangement par le public. La viabilité des populations dépend de la quantité des ressources alimentaires et des sites de reproduction, eux-mêmes étroitement dépendants des stratégies de gestion forestière.
La gestion forestière drastique lui est très nuisible. La méthode de la futaie régulière ne lui convient pas car elle consiste en la coupe simultanée de tous les arbres adultes d’une parcelle en fin de série, obligeant les pics à trouver un nouveau territoire. Toute action dans les forêts matures lui est néfaste.
Adopter des pratiques de gestion forestière plus respectueuse de l’environnement. Eviter tous travaux forestiers à proximité des sites de nidification pendant la période de reproduction, préserver des îlots d’arbres morts et/ou sénescents, conserver des arbres présentant des loges de Pic noir comme gîte et abri pour d’autres espèces sont les principales mesures à appliquer.